«Faux pouvoir»
«Les hommes naissent libres et égaux en doigts : ils en ont dix ! »
(G. Marchais, discours à jeun)
« -C’est un ancien communiste qui est devenu alcoolique.
-c’est bien qu’il s’en soit sorti ! »
( Brèves de comptoir)
L’homme de pouvoir est bien seul. C’est la pensée qui me chatouille les neurones, au moment où je contemple, d’un œil blasé, perché sur le balcon de mon majestueux palais, la grouillante masse populiste ordinaire et lisse, qui s’agite frénétiquement devant les grilles en or massif de mon grandiose édifice.
Que veulent-ils donc, ces miséreux ? Quelles sont leurs insignifiantes revendications ? C’est le ministre des mots fléchés et de l’orthographe qui me répond :
« -Ils veulent plus de droits et plus d’argent, Majesté.
-Ils ont déjà le droit de vivre et ont suffisamment d’argent pour ne pas avoir à le dépenser.
-Ils en veulent plus, Majesté, justement pour pouvoir le dépensé.
-E.R à «dépenser» ! Ils ne savent donc pas que l’argent ne fait pas le bonheur ? Moi qui suis richissime, je peux en attester : mon argent ne fait pas leur bonheur. Le mien, un peu, car il me permet de consommer à loisirs des mets délicats, même après le 20 du mois.
-Ils voudraient simplement pouvoir manger après le 15, Majesté !
-Et c’est pour le simple confort de leurs palais qu’ils malmènent ainsi les grilles en or massif du mien ? Manger est donc leur unique préoccupation ?
-Oui, majesté, c’est même une Nécessité.
-Vous avez oublié une majuscule à « Majesté » et en avez mis une à « nécessité » ! Seriez vous d’un tempérament provocateur ?
-Pardon, Majesté, cela m’a échappé.
-Les tigres vous guettent !
-Milles excuses Majesté, cela ne se reproduira plus. J’écrirais un poème à la gloire de Votre Divine Luminescence Eternele !
-Avec deux « L » à « éternelle » !
-La grandeur de sa Majesté me trouble, comme le sable opacit l’eau de la vague qui vient mourir sur la plage !
-Tout ça, sans faute !
-Merci, Majesté !
-Je parlais du poème. Sans faute, c’est à dire ne l’oubliez pas et les tigres attendront. Où en étions-nous ?
-Nous parlions des affamés, Majesté.
-Ils ignorent donc qu’il existe bien d’autres occupations que de manger. Sont-ce des goinfres ?
-Ils ont le ventre vide, Majesté.
-Mais ils ont néanmoins suffisamment d’énergie pour saccager les grilles de mon palais. Et si je lâchais les tigres ?
-Ils ont si faim qu’ils les mangeraient.
-Mes tigres ne sont pas si affamés, ils sont bien nourris.
-Je parlais des gens, Majesté ! Ils ont si faim qu’ils mangeraient vos tigres ! Ils ont l’estomac dans les talons.
- Et les talons dans les godasses ! Ils n’ont qu’à manger leurs chaussures !
-Encore faudrait-il qu’ils en eussent, Majesté !
-Vous faites du zèle, ministre érudit, méfiez-vous des tigres !
- Ils pensent également à leur z’enfants, Majesté.
-Si vous faites la liaison entre « leur » et « enfants », mettez au moins un « s » à « leurs ». Vous ne vous relisez jamais quand vous parlez ? Au lieu de ne penser qu’à se remplir le ventre, s’ils s’occupaient à autre chose, comme jouer au « scrabble », par exemple, c’est très enrichissant. Le mot « zygomatique » sur une case triple peut rapporter 150 points, un steak haché seulement 110 calories. La différence est pourtant évidente. Leur ignorance, leur bêtise et leur paresse n’a d’égal que leur appétit.
-N’ont d’égal, Majesté !
-Les tigres vous guettent !
-Pardon, Majesté, mais mon devoir de ministre de m’oblige à vous coriger lorsque vous commettez un impair orthographe.
-Avec deux « r » à corriger. Quel poste occupiez-vous auparavant ?
-J’étais à la culture.
-Ca ne m’étonne pas ! Mais passons. Voyez-vous, mon cher ministre, ma famille s’est installée ici en 1945, poursuivie, il est vrai, par une horde d’anglo-saxons vociférant, hystériques et Obélix (pardon, mais ça m’amuse), qui lui reprochaient notamment de s’être lancée, dès 1940, dans le commerce d’œuvres d’art, d’objets précieux et l’exportation de personnel, non qualifié, à qui ils trouvaient des emplois, dans un très beau pays, quoiqu’un peu germanique. Des antiquaires qui faisaient office d’agence de placement en même temps, en quelque sorte. Les employeurs devaient être très satisfaits de leurs prestations, puisque aucun des employés qui est parti n’est jamais revenu. Lorsque ma famille débarqua ici, il n’y avait que du sable et des cailloux, une végétation anémique, quelques cours d’eau asséchés, une température de 45° à l’ombre, s’il y avait eu de l’ombre, et, il est vrai le sous-sol le plus riche qui soit. "
"Jamais l’or, l’uranium, le diamant, le pétrole, plus quelques autres babioles sans importances furent aussi présents que dans cette région de la planète. Il suffisait de creuser. Les autochtones, par stupidité ou par paresse, allez savoir, n’y ont jamais pensé, trop préoccupés à gagner petitement leur vie en recherchant avidement eau et nourriture.. Ma famille a fait l’effort d’exploiter ce terrain. Pour des gens qui avaient fait fortune dans les objets d’art, devenir mineur était un exemple d’humilité. Les habitants de la région auraient du être sensibles à ce retour aux vraies valeurs que sont le travail, la volonté et la persévérance. Mais ils préférèrent s’enfermer dans une sorte de jalousie teintée d’hostilité mal placée. Ils devinrent aigris.
« Tu m’aigris ! » avait déclaré un jour, un mineur sous payé à mon père.
« Oui, mais c’est moi qui mange ! » avait rétorqué celui-ci avec à propos.
"Puis, pour le punir de son outrecuidance déplacée, il le fit pendre par les oreilles, jusqu’à ce que retentisse le chant du coq. Comme il n’y a pas l’ombre d’un gallinacé à moins de 300 km à la ronde, le malheureux, mais impertinent mineur, doit, à l’heure qu’il est, être soit mort de faim, soit ressembler à l’enfant issu du croisement de Jumbo l’éléphant avec une antenne parabolique surpuissante.
" L’exploitation du sous-sol fut, certes grandement facilité par l’utilisation d’explosifs puissants qui venaient des surplus de l’armée allemande, alors que les misérables mineurs indigènes s’évertuaient à fouiller le sol à l’aide d’une fourchette à escargot, ce qui, convenons-en, ne facilite pas l’extraction des précieux minerais enfouis sous leurs pieds.
-Votre famille eut bien du mérite, Majesté.
-Et comment ! Il lui fallut supporter endurer les tonitruantes déflagrations des puissants explosifs, qui déchiraient la terre desséchée et craquelée, comme le pâté en croute de tante Gudule. Il fallut également faire face à l’hostilité manifeste des autochtones qui nous reprochaient de détourner l’eau des puits, des oasis et des maigres cours d’eau, afin d’arroser abondamment la végétation luxuriante et équatoriale qui cerne notre modeste palais en or massif. Les miséreux paysans allèrent même jusqu’à tenter de s’opposer au remplissage de notre humble piscine de 16 000 m3, qui nous permet de nous rafraichir à la saison chaude, c’est à dire toute l’année. Quelle ingratitude de la part d’un peuple, pour qui nous avions fait construire un casino, le mois précédent, afin de lui permettre de se divertir. Le coup de grâce survint lorsque mon père s’auto-proclama roi à vie. Nous dûmes faire des exemples afin de calmer les ardeurs hostiles des insoumis. Nous avions remarqué qu’ils supportaient très mal les bains prolongés dans l’acide sulfurique. Même si, au moment de la plongée, ils s'ébrouaient frénétiquement en poussant des petits cris suraigus, après quelques secondes, leur agitation cessait et ils se désintégraient dans un bouillonnement digne des plus grandes préparations culinaires mijotées. Depuis, j’ai remplacé l’acide par les tigres, c’est plus humain, sauf pour les gardiens des fauves à qui il manque au moins un membre.
J’en suis là de mes confessions coloniales, lorsqu’on cogne à l’huis capitonné de mon cabinet royal.
-Entrez !
C’est le greffier qui passe sa tête d’hépatique par l’entrebâillement.
-S’cusez moi de vous déranger, Divine Majesté. Le ministre des arrestations arbitraires sollicite un entretien avec votre Grandeur.
-Soit, introduisez-le, mais sans douleur !
Le ministre pénètre dans mon cabinet. C’est un individu maigrichon, à la voix glaciale, au regard glacial, à l’allure glaciale, lorsqu’il s’introduit dans la pièce, tout le monde se couvre d’une laine. C’est pas un homme, c’est un reptile ! Son autre particularité est d’avoir une haleine méphitique (t’as qu’à prendre un dictionnaire !) à un point tel, que là où il baille, les arbres ne repoussent pas !
-Mes salutations, Majesté.
Nous nous abstenons de respirer durant 20 bonnes minutes, le temps que les relents fétides provoqués de cette simple phrase s’estompent.
-Veuillez vous placer face à la fenêtre, cher ministre, ouvrez-la et expirez fortement. Peut-être le peuple insoumis se dispersera-t-il conséquemment à votre exhalaison.
-A vos ordres, Majesté.
Quatre mouches s’écrasent au sol, asphyxiées. Une bande de tapisserie se décolle, le ministre de l’orthographe et des mots fléchés pâlit, titube et s’écroule sur mon beau tapis persan.
-Arrrh ! Je meure !!
-Avec un « s » à « meurs », mon cher ministre. Si vous nous quittez, faites au moins un effort !
Le ministre des arrestations arbitraires reprend la parole, au grand damne des couleurs enchanteresses de mes tapisseries, qui ternissent à vue d’œil, sous l’effet toxique des fragrances stomacales du ministre défraichi.
-Vous vous brossez les dents avec quoi ?
-Avec du dentifrice, Majesté.
-Avez-vous essayé les bains de bouche au canard wc ?
-Non, Majesté, mais je vais y songer.
-Ce serait une bonne chose pour tout le monde. Qu’est ce qui vous amène, cher ministre ?
-Je dois vous entretenir à propos de prisonniers, qui nous posent certains problèmes, Majesté.
-Parlez face à la fenêtre. Quels prisonniers ?
-Nous les avons arrêté il y a 3 jours.
-Pour quelle raison ?
-Ils complotaient contre vous, en tentant d’instaurer le droit de vote.
-Quelle horreur ! Qu’en avez-vous fait ?
-Nous les avons enfermés, Majesté, mais nous les avons oubliés. Ils n’ont pas été nourris depuis 2 jours.
-Et alors ?
-Ils menacent d’entamer une grève de la faim, si nous ne les nourrissons pas immédiatement, Majesté !
-Nous ne céderons pas !
-Nous avons de bonnes raisons de penser qu’ils ont envoyé un message à l’ONU, Majesté, pour les avertir de la conjoncture désastreuse dont le peuple croit, à tort évidemment, être victime.
-Fichtre ! Que risquons-nous ?
-Que l’ONU nous envoie des casques bleus.
-Qu’en ferions-nous ? Restez face à la fenêtre !
-Sous les casques, il y a des soldats, Majesté.
-Ils veulent donc la guerre ?
-Non, Majesté, ce sont des soldats de la paix. Ils peuvent recevoir des balles, mais n’ont pas le droit de se servir de leurs armes.
-Des soldats de la paix, n’est-ce point antinomique ?
-Cela parait étrange, mais c’est ainsi, Majesté.
-Qu’ils viennent donc, cela exercera nos tireurs, ils en ont assez de viser la population.
-Vous devriez prendre des mesures populaires afin de calmer l’opinion internationale, Majesté.
-Que me conseillez-vous ? Parlez sur le balcon, s’il vous plait, votre haleine risque de ranimer le ministre de l’orthographe !
-Inspirez-vous d’un pays occidental comme la France, Majesté. L’idée d’instaurer le droit de vote n’est finalement pas si mauvaise.
-Diantre ! Expliquez-vous, cher ministre ou vous aurez à répondre de vos propos abjects devant les tigres.
-Organisez une élection, Majesté. Fictive, bien entendu. Choisissez les personnalités les plus populaires et mettez les en concurrence sur les listes électorales. Chacun établira un programme, et le peuple sera libre de choisir son président.
-Vous n’y pensez pas ! Auriez-vous perdu la raison, ministre ignominieux ! Vous rendez-vous compte de l’incohérence de votre raisonnement ?
-Il est évident que vous conserverez les pleins pouvoirs, Divine Majesté. L’élu ne sera qu’un faire valoir, une potiche, en somme.
-Aux yeux du peuple, il sera le chef. Il paradera dans mon bel uniforme de cérémonie, je ne pourrais m’y résoudre.
-Tous cela ne sera que duperie, Majesté, et le nouveau Président ne prendra pas votre place, vous aurez toujours le pouvoir dans ce pays, mais le peuple n’en saura rien. Il vous sera reconnaissant d’avoir instauré la démocratie. Songez, Majesté, que le malheureux Président aura à subir les exigences de la population, exigences beaucoup moins emportées, puisque la majorité l’aura porté au pouvoir. Vous aurez ainsi la possibilité de vivre paisiblement et de jouir, à votre guise, de vos nombreuses richesses. Il vous sera parfois nécessaire de lâcher un peu de lest, de manière à crédibiliser la fonction présidentielle nouvellement créée.
-Qu’entendez-vous par lâcher du leste ?
-Certains gouvernements ont, par exemple, instauré les congés payés, Majesté.
-De quoi s’agit-il ?
-Cela permet au peuple de se reposer et de cesser de se frotter à la promiscuité des villes, Majesté.
-Et que font-ils ?
-Ils se frottent à la promiscuité des plages!
-C’est stupide !
-Mais c’est ainsi, Majesté.
-Que se passera-t-il si le peuple s’aperçoit de la supercherie ?
-Il ne s’en apercevra pas, Majesté, trop content d’avoir enfin la liberté de s’exprimer, liberté illusoire évidemment.
-Comment pouvez-vous en être si sûr ?
-La démocratie se caractérise par le pouvoir d’une majorité exprimée sur une minorité non consentante, Majesté. Si les choses ne fonctionnent pas comme elle le souhaite, cette minorité reprochera à la majorité d’avoir choisi le mauvais candidat. La majorité tentera d’argumenter son choix, de manière à ne pas perdre la face et s’enfoncera dans son erreur, au grand désarroi de la minorité qui lui en tiendra rigueur. Il s’ensuivra des querelles internes au sein même du peuple, querelles qui vous seront profitables, puisque leur agressivité collective, au lieu de se concentrer sur un seul individu, c’est à dire vous, Majesté, se délayera et sera donc moins tenace.
-Je ne vous suis plus, le peuple revendiquera toujours la même chose !
-Mais il trouvera d’autres responsables à ses tourments, à savoir ceux qui ont mis le pouvoir en place, c’est à dire les électeurs majoritaires. Comme justement ces derniers sont majoritaires et refusent de reconnaitre leurs erreurs, la colère s’en trouvera amoindrie. Ils transféreront leur courroux sur d’autres responsables que vous et cette colère sera moindre. Voyez-vous, Majesté, la fureur de la foule est comme un rayon laser, c’est à dire un faisceau de lumière très concentré, donc très énergétique et dévastateur. Si vous parvenez à diffuser sa lumière son énergie s’éparpillera et il sera moins dangereux pour sa cible. Sauf votre respect, Majesté, la cible c’est vous et l’animosité de la population représente le laser. Dispersez cette colère et vous n’aurez plus rien à craindre du peuple.
-Cela me parait bien compliqué, cher ministre.
-C’est seulement mathématique, Majesté.
-Que viennent faire les mathématiques dans votre raisonnement ? Soyez plus explicite, que diable !
-La formule est simple, Majesté : diviser pour mieux régner et multiplier pour mieux soustraire, cela vous permet d’additionner !
-Vous me donnez le tournis, avec vos formules mystérieuses ! Soyez clair ou je fais réanimer le ministre de l’orthographe !
-N’en faites rien, Majesté, il doit surement rêver de dictée, dans son coma. J’ai cru l’entendre murmurer « à la ligne » tout à l’heure;
-Votre haleine est un puissant narcotique, continuez de parler face à la fenêtre. Où en étions-nous ?
-Je vous expliquais qu’il était nécessaire de diviser le peuple afin de mieux régner. Multiplier les opinions de manière à soutirer plus facilement au peuple, sans avoir à craindre ses représailles. Cela vous permet d’augmenter vos richesses, tout en faisant porté le chapeau à d’autres. Sauf votre respect, Majesté, votre régime actuel fonctionne à l’envers : vous additionnez les opinions, de manière à n’en faire qu’une seule qui se retrouve sans autre opposant que vous-même. Le peuple multiplie ainsi les actions hostiles à votre encontre et les conflits sont permanents et de plus en plus violents.
-Est-ce ainsi que les autres nations fonctionnent ?
-Grossièrement oui, Majesté.
-Voilà que vous m’ouvrez d’autres horizons, cher ministre putride. D’où tirez-vous cet enseignement?
-J’ai fait des études d’économie politique, Majesté.
-Chez nous ?
-Non, Majesté, en France.
-Qui dirige ce pays ?
-L’alternance, Majesté.
-Qu’est ce donc ?
-Un coup, c’est la droite qui gouverne, un coup c’est la gauche.
-Dans ce cas, pourquoi le peuple vote-t-il?
-L’illusion, Majesté. Il est bon de faire croire aux petites gens que leur opinion a de l’importance. Les hommes de pouvoir simulent le partage des richesses, mais eux seuls en tirent les bénéfices.
-Quelle différence y a-t-il entre la droite et la gauche ?
-A vrai dire très peu, Majesté, du moins dans le fond. Seule la forme change. La droite achète son électorat en assurant un contrôle des richesses à quelques notables garants des valeurs morales et de certaines traditions héritées de la monarchie, qu’elle travestit en démocratie bien pensante.
-Et la gauche ?
-La gauche, longtemps outrée par ces pratiques archaïques, s’est finalement laissée séduire par le procédé, Majesté.
-Elle achète les notables ?
-Non, Majesté, la gauche est plus sournoise, elle suborne les nécessiteux, exploite la pauvreté. Elle prend « aux pas très riches » pour donner aux plus miséreux.
-Serait-elle folle ?
-Pas du tout, Majesté, c’est très ingénieux, au contraire. En s’attaquant « aux pas très riches », elle en fait des pauvres, qui sont bien évidemment séduits par l’aide financière et l’assistance de l’état. Et les « déjà pauvres », eux continuent à donner leurs voix à la gauche de peur de perdre leurs avantages. En définitif, elle maintient les plus démunis dans un rôle d’assistés, de manière à conserver la légitimité de son pouvoir. Toute tentative d’initiative personnelle est vouée à l’échec.
-Le peuple ne devine pas le piège de la dépendance ?
-Non, Majesté, trop content de jouir de certains avantages sans rien devoir en échange, si ce n’est qu’un bulletin électoral. La gauche va même jusqu’à s’abaisser à s’entourer d’écologistes et de communistes, de manière à ratisser le plus large possible dans la classe ouvrière.
-Des communistes !! Quelle horreur ! Le peuple n’a donc aucune notion d’Histoire ?
-Hélas, Majesté, l’Histoire se vit, s’écrit, et s’oublie et quand elle ne s’oublie pas, son souvenir reste très sélectif. Ainsi, la population manifeste son mécontentement et son inquiétude lorsque la droite tente une alliance avec certains partis d’extrême-cons, mais ne s’offusque pas de la présence de communistes parmi les membres du gouvernement.
-Les Français sont des veaux !
-Il s’agit d’une formule déjà employée par le grand Charles, Majesté.
-Aznavour ?
-Non, De Gaule, Majesté.
-Comment le peuple peut-il se laisser abuser ainsi sans réagir ?
-Il semble baigné dans une douce léthargie, Majesté. A sa décharge, il faut signaler que les dirigeants de ce pays ont mis en place un principe d’hypnose, nommé pendule de Foucault.
-Caisse donc ? Pardon, qu’est-ce donc ? Le mot Foucault m’anesthésie l’esprit.
-L’anesthésie est sa fonction première, Majesté. L’hypnose se pratique en général à l’aide d’un pendule que le sujet doit fixer. C’est sur ce principe que le peuple s’endort et ne se révolte pas. Le pendule en question est manœuvré par un Foucault, d’où le nom de pendule de Foucault.
-Et comment ça marche ?
-Le Foucault endort ses proies en posant des questions du niveau d’entrée au cours élémentaire, de manière à ratisser le plus large possible, Majesté, à des personnes très peu riches en culture, de manière à instaurer un suspens insoutenable pour le spectateur ensorcelé devant son écran de télévision, la bave aux lèvres et la Kronenbourg à la main. Le tout dans une ambiance qui ferait passer les plus tragiques funérailles imaginables, pour un bal du 14 juillet, Majesté.
-Ce Foucault est un illusionniste de grand talent ! En avons-nous un sous la main ?
-Les tigres l’ont mangé, Majesté !
-Comment ont-ils réagit, cher ministre ?
-Ils ont eut une brève période de catalepsie, durant laquelle même la photo d’un écolo les laissait de marbre, Majesté.
-Bigre, c’est un puissant sédatif !
-Le Foucault n’est pas le seul, Majesté. Il existe le Castaldi qui est également un lénifiant surpuissant. Il est composé de 2/3 de Risoli bêtifiant, 1/3 de Sabatier ancien et 1/3 de Pradel troublé, c’est vous dire le pouvoir hadal de cette infernale machine à détruire les neurones.
-Mais il est composé de 4/3 de composant, n’est-ce point trop ?
-C’est la raison de sa puissance, Majesté. Il est le grand spécialiste de la lobotomie de masse. Il a réussi à ankyloser toute une population plusieurs semaines, en filmant la pathétique existence d’une bande de décérébrés congénitaux, appelés également « jeunes », volontairement enfermés dans une résidence, ouverte à tous les regards mornes des crétins catalepsiés.
-Il est effectivement très habile. En avons-nous un sous la main ?
-Les tigres l’ont également mangé, Majesté.
-Comment ont-ils réagit ?
-Ils ont vomi, Majesté.
-Pourrions-nous récupérer quelques morceaux et les présenter au peuple, en signe de sympathie ?
-Hélas non, Majesté. La digestion avait commencé son œuvre, avant que la nausée n’incommode vos chers félins.
-Soit, nous en créerons un autre, plus puissant encore.. Greffier !! Où est-elle cette sinistre andouille ? Greffier !!
Il passe enfin sa superbe tête d’abruti congénital, par l’entrebâillement de la porte de mon cabinet.
-Vous m’avez demandé, Divine Puissance Céleste ?
-Convoquez sans plus attendre le ministre des câbles et des micros, ainsi que le ministre des hauts-parleur ! Qu’ils installent leur matériel sur le balcon, je vais m’adresser au peuple.
-Vos désirs sont des ordres, Suprême Divinité !
Quinze minutes plus tard, prêt à rentrer dans l’histoire, j’apparais à la foule pleine d’espoir, dans un apparat digne de ma gloire. Le bras tendu, la paume de la main tournée vers le ciel, le majeur dressé et les autres doigts repliés, je leur dis simplement : « Je vous ai compris ! ». C’est étrange, ils n’applaudissent pas !
Depuis, bien des choses ont changé, dans mon royaume. Trois présidents se sont fait lyncher. Le ministre des arrestations arbitraires a été nommé ministre des produits d’entretien, ce qui lui permet de se rincer la bouche régulièrement avec Javel Lacroix, ou Plize, pour changer d’air. Le ministre de l’orthographe sort de temps à autres de son coma pour balbutier : « Aider-moi ! »
-Avec un « z » à aidez, ne puis-je m’empêcher de le reprendre.
Les tigres vont bien, ils se nourrissent de membres du gouvernement que le public conspue. Nous avons aboli le supplice du pal pour les chanteuses braillardes et la crucifixion pour les utilisateurs de perceuse le dimanche matin.
Le peuple a droit aux congés payés : une heure par an ! C’est peu, mais ce n’est qu’un début. Le seul point noir est que nous échoué dans notre tâche ardue à recréer un Castaldi ou un Foucault. Nous devons, pour l’instant nous contenter d’un Lucien Jeunesse, ma foi un peu usagé, mais le peuple semble s’y accommoder, en attendant mieux.
Perché sur le balcon de mon majestueux palais, je contemple la grouillante masse populiste, ordinaire et lisse, qui s’agite frénétiquement en s’invectivant et s’affrontant pour des opinions qui divergent.
La vie est belle, mais l’homme de pouvoir est quand même bien seul…